Traité de Lisbonne
Le traité de Lisbonne dans sa partie relative au traité sur le fonctionnement de l’Union européenne fixe, entre autres, les règles de fonctionnement de l’Union. Il est entré en vigueur en décembre 2009. Il comporte notamment un fameux article 17 qui définit la posture de l’Union vis-à-vis des Églises et des organisations philosophiques et non confessionnelles. Il précise :
« 1. L’Union respecte et ne préjuge pas du statut dont bénéficient, en vertu du droit national, les Églises et les associations ou communautés religieuses dans les États membres.
2. L’Union respecte également le statut dont bénéficient, en vertu du droit national, les organisations philosophiques et non confessionnelles.
3. Reconnaissant leur identité et leur contribution spécifique, l’Union maintient un dialogue ouvert, transparent et régulier avec ces églises et organisations. »
La genèse de cet article 17 est intéressante. Alors que dans les années 1990, la législation européenne se substitue de plus en plus aux législations nationales, les Églises catholique et protestantes allemandes craignent de voir disparaître leurs privilèges financiers : le droit de percevoir la Kirchensteuer, ou taxe cultuelle, et de déroger au droit du travail allemand en vertu de leur statut national. Pour les préserver, elles se sont lancées dans un lobbying intense à Bruxelles, dont il résultera que leur statut national allemand sera entériné au niveau européen par une déclaration du Conseil de ministres de l’Union européenne présidé par Martine Aubry. Dans la même déclaration, le respect du statut des « organisations philosophiques et non confessionnelles » est ajouté, à titre de compromis et grâce à l’intervention de la Unie van Vrijzinnige Vereningen, l’Union (belge) des Associations Laïques auprès du ministre belge des Affaires étrangères.
En 2003, à l’occasion du débat sur le projet de traité établissant la constitution européenne, c’est le Vatican lui-même qui exerce un lobbying intense pour obtenir, entre autres, que la déclaration soit intégrée au traité sous la forme d’un article, afin de lui donner force de loi et qu’un accès privilégié des Églises auprès des présidents des institutions de l’Union soit garanti par l’institution d’un dialogue. Le Vatican souhaitait également obtenir l’établissement de relations diplomatiques avec l’Union européenne et faire introduire dans le préambule du traité constitutionnel une référence à Dieu et aux racines chrétiennes de l’Europe. Dans les faits, le débat public se focalisera entièrement sur ce dernier point, qui jouera le rôle d’un écran de fumée occultant les enjeux du dialogue.
Cette pratique du dialogue date en réalité de 1992, lorsque Jacques Delors, alors président socialiste de la Commission européenne, veut « donner une âme à l’Europe ». À cette fin, il crée un dialogue officieux avec les églises, en y invitant également une organisation laïque, la Fédération Humaniste Européenne. Par la suite, les présidents successifs de la Commission européenne, Santer, Prodi puis Barroso, tous très croyants, ont continué cette pratique du dialogue officieux.
Après le rejet du projet de traité constitutionnel, le Vatican s’emploie à introduire l’article sur le statut des Églises et du dialogue dans le traité de Lisbonne, sous la forme de l’article 17 et à le sortir du chapitre « démocratie participative » afin que les religions et organisations philosophiques et non confessionnelles aient in fine un statut privilégié par rapport aux autres acteurs de la société civile. En échange, les Églises s’engagent à soutenir le projet européen.
Mais qui sont ces « Églises » ? Tout d’abord, l’Église catholique, puis les diverses Églises protestantes, dont les luthériens, les hussites, les méthodistes, les presbytériens, puis l’Église anglicane ainsi que les diverses églises orthodoxes, mais également les Grands Rabbins représentant les communautés juives. Enfin, il y a les hindouistes, les bouddhistes, les sunnites et les chiites, dont le rôle est plus marginal. Les deux représentations les plus puissantes à Bruxelles sont la COMECE (Commission des Épiscopats de la Communauté européenne) pour l’Église catholique et la CEC (Conférence des Églises européennes), qui regroupe les églises protestantes et orthodoxes. L’article 17 du traité de Lisbonne est entré en vigueur le 1er décembre 2009. Quant aux associations philosophiques et non confessionnelles, qui n’avaient pas été demanderesses, elles n’en feront pas usage immédiatement, d’autant que leur position de départ était d’en rejeter le principe.
Ce dialogue à haut niveau se déroule aujourd’hui avec les présidents des trois institutions : Commission européenne, Conseil européen et Parlement européen, mais au cours de deux réunions distinctes, les églises et communautés religieuses, d’une part, et les associations philosophiques et non confessionnelles, d’autre part. Ces rencontres sont annuelles.
Toutefois, ce dialogue est depuis lors déséquilibré au profit des églises. Citons deux exemples frappants du succès du lobbying des Églises : en 2003, elles ont obtenu une dérogation, toujours inspirée du modèle allemand, à la directive sur la non-discrimination en matière de travail, qui leur permet de ne pas recruter des employés dont la religion ne correspond pas à la leur et de licencier un employé qui renonce à leur religion. En 2011 le président de la Commission européenne nomme un Groupe européen d’éthique (GEE), censé être indépendant et neutre, chargé d’examiner les questions éthiques liées aux sciences et aux nouvelles technologies et de conseiller la Commission pour les politiques communautaires. Sur ses quinze membres, tous professeurs d’université, six sont professeurs de théologie, dont un prêtre et une vierge consacrée, trois autres enseignent dans des universités catholiques, dont un est correspondant de l’Académie pontificale pour la vie. Il n’y a aucun laïque avéré. Le Médiateur européen, saisi par l’Association européenne de la pensée libre (AEPL) a fait le constat de ce déséquilibre et proposé qu’« au moment du renouvellement du GEE, la Commission pourrait envisager de préciser dans l’appel à manifestation d’intérêt que les croyances religieuses ou personnelles ne sont pas prises en compte lors de la procédure de sélection et que les candidats laïques sont invités à postuler ».
Avec le Parlement européen, le dialogue n’est pas plus aisé : au cours d’une réunion organisée le 29 juin 2011 par « La plateforme du Parlement européen pour la laïcité en politique », afin de poser les bases de ce dialogue, l’ancien président du Parlement européen, Jerzy Buzek, rejette d’emblée le principe de séparation des Églises et de l’État, et désigne comme responsable du dialogue Laslo Tökès, un des vice-présidents du Parlement et ancien évêque hongrois de l’Église réformée de Roumanie. Laslo Tökès, prenant la parole, a enchaîné en assimilant la laïcité au totalitarisme soviétique, provoquant ainsi le départ d’associations présentes.
La discrimination manifeste dont les associations philosophiques et non confessionnelles ont fait l’objet et la volonté de certaines hiérarchies religieuses d’influer sur les décisions de l’Union au travers des institutions européennes sont patentes. Le vice-président de la Commission européenne investie le 22 octobre 2014, Frans Timmermans, et le président du Parlement réélu le 1er juillet 2014, Martin Schulz, semblent plus ouverts à un véritable dialogue, ce qui pourrait augurer d’un rééquilibrage salutaire, d’autant plus les associations non confessionnelles ont finalement pris la décision d’y jouer un rôle actif, ne fût-ce que pour ne pas laisser la voie ouverte aux seules Églises, et pour défendre la vision humaniste et laïque de la construction européenne.
Tony Van der haegen, Dictionnaire de la Laïcité (2°édition)