La laïcité garantit-elle l’égalité femmes-hommes ? (SENAT-Partie II Rapport parlementaire)
II. UNE PRIORITÉ : RÉAFFIRMER L’ÉGALITÉ ENTRE FEMMES ET HOMMES
La délégation estime souhaitable, pour contribuer à la lutte contre les menaces qui affectent aujourd’hui les droits et libertés des femmes, de réaffirmer dans tout notre système juridique le principe d’égalité entre femmes et hommes, qui constitue une dimension essentielle de la laïcité.
A. L’ÉGALITÉ ENTRE FEMMES ET HOMMES, CONDITION DE LA LAÏCITÉ
La laïcité est devenue un enjeu du débat politique en France et est revendiquée aujourd’hui, pour des raisons diverses, par la plupart des courants politiques.
Des controverses passionnées opposent aujourd’hui des conceptions différentes de la laïcité, à tel point que la notion est désormais assortie d’adjectifs qualificatifs : il existerait ainsi une laïcité « ferme », « fermée », « intransigeante », voire « nouvelle », et une laïcité « ouverte », « libérale », « tolérante »… Selon le spécialiste Jean Baubérot, la laïcité « historique » s’opposerait actuellement à une laïcité « falsifiée »246(*)…
À cette liste d’adjectifs, il en manque un : égalitaire. Serait-ce parce que cette dimension va de soi ?
En effet, selon Élisabeth Badinter, la laïcité est la « condition sine qua non de la libération des femmes car elle les soustrait à l’oppression qui pèse sur elles dans les trois religions monothéistes »247(*). Pour Jean Baubérot, « la laïcité se trouve engagée dans un combat essentiel : celui de l’égalité des sexes »248(*).
Le lien entre laïcité et émancipation des femmes n’est pourtant pas évident, si l’on se réfère aux circonstances de l’adoption de la loi de 1905249(*).
De fait, l’égalité entre femmes et hommes a fait son entrée récemment dans le débat sur la laïcité ; elle est désormais régulièrement présentée par de hautes autorités de notre pays comme un aspect important de la lutte contre des extrémismes qui, en niant les droits des femmes, sont considérés comme des menaces contre nos valeurs républicaines.
L’égalité entre femmes et hommes est donc non seulement l’une des valeurs fondamentales de la laïcité aujourd’hui, mais aussi, selon la délégation, l’une des conditions de son existence-même.
LA LOI DU 9 DÉCEMBRE 1905 – REMARQUES DIVERSES
La loi du 9 décembre 1905 pose le principe de liberté de conscience et de religion (article premier : « La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes ») et de séparation des Églises et de l’État (article 2 : « La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte »). Il en résulte deux obligations symétriques : – pour l’État : assurer la liberté de conscience et garantir le libre exercice des cultes tout en restant neutre à l’égard des religions ; la laïcité est ainsi la condition d’un État que Ferdinand Buisson qualifie d’« indépendant de tous les clergés, dégagé de toute conception théologique »250(*) ; – pour les citoyens : ne pas invoquer les pratiques religieuses « pour se soustraire aux exigences de l’ordre public251(*) ». Le Conseil constitutionnel a considéré que l’article premier de la Constitution « interdisait à quiconque de se prévaloir de ses croyances religieuses pour s’affranchir des règles régissant les relations entre collectivités publiques et particuliers »252(*). Philippe Portier, directeur d’études à l’École pratique des hautes études et directeur du Groupe sociétés, religions, laïcités (GRSL), auditionné le 9 avril 2015, a rappelé que la loi de 1905 avait été conçue avant tout comme une « loi de liberté », prolongeant sur ce plan celles de 1881 sur la liberté de la presse, de 1884 sur les syndicats et de 1901 sur les associations. Ainsi repose-t-elle sur une conception de la laïcité différente de celle que défendait, par exemple, Émile Combes. La loi de 1905 suppose, selon Philippe Portier, une « conception large et ouverte de l’accueil des religions dans la société politique ». Dans le même esprit, Jean Baubérot estime que c’est « une laïcité de liberté et de raison qui s’est imposée en 1905 » : cette loi, observe-t-il, n’a pas relégué la religion à une « sphère intime » « ne pouvant pas s’exprimer dans l’espace public » 253(*). Il observe par ailleurs que, dirigée à l’origine contre le cléricalisme d’une religion majoritaire et dominante », elle a désormais pour « enjeu dominant » le « refus du communautarisme »254(*). |
1. L’influence de la laïcité sur l’égalité entre femmes et hommes : un lien récent à relativiser
La loi de 1905 ne comportait évidemment à l’origine aucune dimension d’égalité entre femmes et hommes; son application n’a fait obstacle, pendant des décennies, ni à l’absence de droits civils pour les femmes, ni à une citoyenneté réservée aux hommes.
a) Des conséquences émancipatrices pour les femmes : une évolution récente
Selon Philippe Portier, auditionné le 9 avril 2015, la laïcité a pu accompagner la reconnaissance des droits des femmes quand cette notion, qui renvoyait initialement à la séparation entre religion et institutions, a pris « une autre valeur dans le débat public français » en accompagnant le « mouvement général de réduction des contraintes » qui s’est traduit, dans les années 1960-1970, par la reconnaissance de nouveaux droits pour les femmes.
Philippe Portier a également fait observer qu’une autre mutation s’était produite parallèlement à une « reconfiguration » de la notion d’ordre public, qui borne la liberté religieuse et qui est étendu aujourd’hui à une « conception immatérielle [faisant référence] aux conditions minimales du « vivre ensemble », au principe de dignité du sujet et au principe aussi de l’égalité hommes-femmes ».
Ce tournant est relativement récent : ainsi que l’a rappelé Florence Rochefort, historienne, lors de son audition par la délégation le 19 mars 2015, le lien entre la laïcité et l’égalité entre femmes et hommes n’était pas mentionné dans l’avis du Conseil d’État de 1989 sur le voile à l’école, qui abordait le sujet sous l’angle de la liberté religieuse et de la neutralité du service public.
En revanche, le Rapport sur l’application du principe de laïcité dans la République ou « Rapport Stasi » observait en 2003 combien l’évolution des termes du débat sur la laïcité, en quinze ans, avait permis de « mesurer la montée en puissance du problème »255(*) posé par les discriminations contre les femmes.
Selon le philosophe André Comte-Sponville, la laïcité, « indissociable de la souveraineté du peuple (ce sont ses représentants qui gouvernent, non ceux de Dieu) comme de l’autonomie des individus (auxquels l’État ne saurait imposer quelque religion que ce soit » […] n’est qu’un autre nom de la liberté »256(*).
Cette remarque convient tout particulièrement à la situation des femmes, car la laïcité leur garantit, ainsi que le soulignait Catherine Kintzler, auditionnée par la délégation le 19 mars 2015, le fait que les religions et les communautés ne fassent pas la loi257(*).
Dans cet esprit, Houria Abdelouahed, psychanalyste et auteure de Les femmes du Prophète, constate que, s’agissant de l’islam, « Seule la laïcité pourrait nous garantir une interprétation libre et une lecture libre de notre corpus »258(*), ce que permet selon elle la séparation entre la loi des hommes et la loi divine.
Ainsi que l’a souligné Marie-Thérèse Besson, présidente de la Grande loge féminine de France, lors de la table ronde du 14 janvier 2016, la laïcité « ne représente peut-être pas le support unique de l’émancipation des femmes, mais elle y contribue, car elle fait obstacle aux pressions du religieux » et plus particulièrement des « groupes intégristes » pour lesquels la loi religieuse est parfois « supérieure à la loi de la République ».
Martine Cerf, secrétaire général de l’association Égale Égalité, Laïcité, Europe, a elle aussi, au cours de la même réunion, constaté que « toutes les conquêtes récentes pour les femmes [avaient] rencontré l’opposition d’autorités religieuses » et que la laïcité avait été un « facteur d’émancipation pour les femmes, car elle affirme la suprématie de loi civile sur toute loi religieuse ».
Selon Élisabeth Badinter, c’est précisément dans cette logique que la loi de 1905 a permis par la suite l’adoption de législations favorables aux droits des femmes, car cette loi a permis une laïcisation des moeurs dont les conséquences émancipatrices pour les femmes sont selon elle évidentes : indépendance financière, maîtrise de la fécondité, divorce par consentement mutuel, IVG, autorité parentale partagée, sans oublier l’accouchement dit sans douleur auquel elle rappelle que l’Église catholique s’est initialement opposée259(*)…
Dans une approche similaire, Catherine Kintzler a estimé devant la délégation que la laïcité permettait aux femmes d’échapper à l’uniformisation, au « déni d’autonomie et de singularité » que supposait selon elle l’appartenance à une communauté religieuse. Elle a évoqué la notion de « respiration laïque », seule selon elle susceptible de libérer les femmes en faisant en sorte que leur place dans la société ne soit plus limitée à leur « fonction de reproductrice ».
b) Laïcité et droits des femmes : un questionnement
(1) À l’origine de la laïcité : un « pacte de genre » contre les droits des femmes
Le chercheur Olivier Roy commente dans son ouvrage La sainte ignorance – Le temps de la religion sans culture260(*) la convergence qui s’était établie, au XIXe et au début du XXe siècle, entre morale laïque et morale chrétienne. Cette convergence s’est manifestée par exemple dans le code civil de Napoléon, qui selon lui reflète une « vision chrétienne de la famille ».
Dans la « culture dominante de la IIIe République », le concept de « bonne moeurs », observe-t-il, faisait consensus ; personne ne mettait en question « l’idée d’une nature féminine différente de celle de l’homme et qui se réalise dans la maternité ». Olivier Roy observe à cet égard que le vote d’une législation hostile à l’avortement, dans les années 1920, n’avait pas été contesté par les laïcs et qu’il y avait eu sur ce point une certaine convergence entre ces derniers et les catholiques261(*).
L’inégalité entre hommes et femmes faisait ainsi partie, selon Olivier Roy, d’un socle de valeurs commun, la loi religieuse et la loi commune se rejoignant pour considérer la femme comme « égale en dignité et inégale en statut social »262(*).
Ainsi que l’a noté l’historienne Florence Rochefort lors de son audition le 19 mars 2015, le « pacte laïque » s’est accompagné d’un « pacte de genre », « ciment de la laïcité » conduisant à « des compromis et des alliances » entre forces politiques et religieuses travaillant ensemble « autour de la restriction de l’égalité des sexes ».
Il faut rappeler que l’objectif des auteurs de la loi de 1905 n’était pas de promouvoir les droits et libertés des femmes.
Ce constat s’applique aussi aux lois républicaines de la IIIe République encourageant l’instruction des filles : il s’agissait, selon le député Camille Sée, à l’origine de la loi du 21 décembre 1880 sur l’enseignement secondaire des jeunes filles, de « fournir des compagnes républicaines aux hommes républicains ». L’exposé des motifs de la proposition de loi pose clairement les termes du débat : « Il ne s’agit ni de détourner les femmes de leur véritable vocation, qui est d’élever leurs enfants et de tenir leur ménage, ni de les transformer en savants, en bas-bleus, en ergoteuses. Il s’agit de cultiver les dons heureux que la nature leur a prodigués, pour les mettre en état de mieux remplir les devoirs sérieux que la nature leur a imposés. »
Dans le même esprit, c’est à Jules Ferry, dont l’historienne Florence Rochefort a pourtant rappelé, le 19 mars 2015, l’engagement féministe dès la fin du Second Empire, que l’on doit ces propos édifiants : « Les évêques le savent bien : celui qui tient la femme, celui-là tient tout, d’abord parce qu’il tient l’enfant, ensuite parce qu’il tient le mari. […] Il faut choisir, citoyens : il faut que la femme appartienne à la Science, ou qu’elle appartienne à l’Église. »263(*) Comme le relève Jean Baubérot, « Ferry n’envisage pas que les femmes puissent s’appartenir à elles-mêmes »264(*)…
Dans cette logique, la loi républicaine a reflété l’idéal d’une société inégalitaire qui n’était pas propre aux républicains de l’époque. Il a fallu attendre la loi du 18 février 1938 portant modification des textes du code civil relatifs à la capacité de la femme mariée pour que le législateur mette fin à la puissance maritale, à l’incapacité juridique de la femme mariée et à son devoir d’obéissance ; jusqu’à cette date l’article 213 du code civil disposait : « Le mari doit protection à sa femme, la femme obéissance à son mari ». La loi de 1938 a toutefois préservé la qualité de « chef de famille », reconnue au seul mari jusqu’à la loi du 4 juin 1970 qui a créé la notion d’autorité parentale conjointe.
Quant à la citoyenneté politique, on sait que l’une des motivations de l’exclusion des femmes du droit de vote était l’influence supposée qu’exerçait sur elles la religion catholique.
En d’autres termes, ainsi que Philippe Portier l’a souligné le 9 avril, « la laïcité, dans la première phase de son histoire, laisse donc les femmes à l’écart du projet d’émancipation porté par la République ». Comme l’a relevé Florence Rochefort lors de son audition, « la laïcité ne génère pas automatiquement de dimension égalitaire ».
(2) Féminisme et laïcité
Florence Rochefort a fait observer, le 19 mars 2015, que le féminisme avait dès l’origine inclus « une forme de laïcité », même si au XIXe siècle, le « tabou de la question religieuse » s’est selon elle « installé » au sein du féminisme. L’historienne a ainsi mentionné l’opposition des féministes françaises, par exemple, à l’inscription à l’ordre du jour de congrès internationaux du sujet de la question de l’accès des femmes au pastorat, dont des féministes américaines souhaitaient débattre…
Florence Rochefort, lors de son audition, a commenté l’importance des théologies féministes. Elle a estimé que les courants féministes chrétiens, juifs et musulmans qui ont émergé dans les années 1980 étaient devenus « parties prenantes du changement égalitaire » et « acteurs du féminisme ». Considérant que leur action pouvait s’exercer à la fois à l’intérieur des religions, « pour réformer la théologie », et à l’extérieur, « à travers le soutien à certaines lois », elle a estimé que la parole féministe musulmane devait être « entendue » car elle pouvait contribuer à transformer l’islam. Selon elle il ne convenait pas de rejeter par principe une parole s’exprimant au nom de l’islam à propos des femmes au motif qu’elle serait « forcément anti-laïque ».
La loi de 2004 encadrant le port de signes ou tenues d’appartenance religieuse à l’école est ainsi parfois contestée au nom de l’égalité entre femmes et hommes : selon ce point de vue, l’obligation faite aux jeunes filles de quitter leur voile pour fréquenter l’école s’apparenterait à une interdiction faite aux filles d’aller à l’école.
Lors de la table ronde du 14 janvier 2016, des intervenants ont ainsi fait valoir que cette loi aurait contribué à limiter les chances de certaines jeunes filles de confession musulmane d’accéder à l’autonomie en les privant d’instruction. Martine Cerf, secrétaire générale de l’association Égale Égalité, Laïcité, Europe a contesté cette interprétation en estimant au contraire que la loi de 2004 avait « [apaisé] l’école » à un moment où dominait « la volonté de se diviser plutôt que de s’unir ».
(3) Les limites du principe de laïcité pour faire respecter les droits des femmes
L’argument de la laïcité présente des limites pour défendre les droits des femmes face aux agissements contestables aujourd’hui observés.
En effet, se référer au respect de la laïcité pour interdire des comportements tels que le refus de serrer la main d’une femme ou la récusation d’une personne de l’autre sexe (collègue, supérieur-e hiérarchique, médecin, examinateur-trice, vendeur-se, enseignant-e…) revient à situer implicitement sur le terrain religieux et à confirmer que ce qui constitue avant tout une insulte, une discrimination, un agissement sexiste ou une faute professionnelle peut être considéré comme un comportement religieux.
Le débat ne devrait donc en l’espèce porter que sur l’obligation légale et éviter toute argumentation d’ordre théologique.
Dounia Bouzar a attiré l’attention de la délégation sur cette logique au cours de son audition, le 24 mars 2016.
À titre d’exemple, elle a estimé qu’un-e jeune radicalisé-e qui, dans son collège, arracherait une affiche parce que celle-ci représente une silhouette humaine devrait être sanctionné-e pour dégradation du matériel scolaire. Selon elle, tenter de convaincre cet-te élève que son comportement relève d’une interprétation erronée de la religion placerait ce débat sur un terrain susceptible de valider des interprétations religieuses radicales et présenterait de surcroît le risque de faire sortir de leur rôle les personnels de l’Éducation nationale.
Dans un esprit comparable, le document Laïcité, égalité : guide à l’usage des professionnels publié en 2014 par Dounia Bouzar suggère, entre autres exemples, d’expliquer à une employée d’un service municipal qui souhaiterait travailler avec son foulard que l’interdiction qui lui est opposée s’inscrit dans l’obligation de neutralité s’appliquant à tous les agents du service public pour garantir l’égalité entre les usagers, sans qu’il s’agisse d’une discrimination à son encontre.
2. L’égalité entre femmes et hommes : une valeur à réaffirmer
Comme cela a été mentionné précédemment, le débat sur la laïcité s’est étendu récemment – et c’est fort heureux – à la réaffirmation de la défense de la mixité et des droits des femmes contre l’influence des extrémismes qui menacent ces valeurs.
Les dangers de l’obscurantisme et du fanatisme, mis en évidence tant par les attentats dont notre pays a été la cible depuis janvier 2015 que par le sort révoltant fait aux femmes et aux filles par des groupes comme Daech ou Boko Haram doivent, selon la délégation, conduire à une affirmation énergique de l’égalité entre femmes et hommes, élément central des valeurs de notre pays, plus que jamais nécessaire pour faire rempart aux extrémismes.
Mais cette affirmation ne doit pas rester théorique.
La délégation a la conviction qu’il faut aujourd’hui faire franchir un nouveau cap à l’égalité entre femmes et hommes :
– en inscrivant ce principe dans la Constitution ;
– et en continuant à promouvoir deux aspects de l’égalité qui demeurent fragiles : l’égalité professionnelle et – à la veille des élections de 2017 – la parité en politique.
a) Inscrire l’égalité entre femmes et hommes dans la Constitution
Le principe de laïcité est inscrit dans notre loi fondamentale depuis le début de la IVe République. Selon l’article premier de la Constitution de 1958, « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. »
En revanche, l’égalité « sans distinction de sexe » ne figure pas en tant que telle et de manière explicite dans le texte de la Constitution. Notre loi fondamentale se réfère à la notion d’égalité entre femmes et hommes :
– de manière implicite, par le renvoi au Préambule de la Constitution de 1946, qui dispose que « la loi garantit à la femme des droits égaux à ceux de l’homme » ;
– à partir de la notion d’« égal accès des hommes et des femmes aux mandats électoraux et aux fonctions électives, ainsi qu’aux responsabilités professionnelles et sociales » que la loi doit, en vertu du second alinéa de l’article premier, favoriser : mais il s’agit là davantage, semble-t-il, d’une obligation de moyens que d’une obligation de résultat.
Cette architecture ne paraît pas donner à l’égalité entre les sexes la place centrale qui devrait être la sienne dans notre loi fondamentale.
Le préambule de 1946 ne fait ainsi référence à l’égalité de droits entre femmes et hommes que parmi les « principes [politiques, économiques et sociaux] particulièrement nécessaires à notre temps » et non parmi les « droits inaliénables et sacrés » que possède « tout être humain, sans distinction de race, de religion ni de croyance ».
Cette rédaction ne reconnaît pas l’égalité de droits entre femmes et hommes en tant que telle.
En effet, le constituant de 1946, en garantissant à la femme « des droits égaux à ceux de l’homme », ne semble permettre finalement qu’un rattrapage, au profit des femmes, de droits qui ont été donnés d’abord, et de manière naturelle, aux hommes. On peut voir dans cette rédaction le reflet d’une logique comparable à celle qui fait de la femme « le deuxième sexe » et non la moitié de l’humanité.
Le constituant s’honorerait donc en donnant à l’égalité entre femmes et hommes la place qui lui revient dans notre loi fondamentale. Il n’en rendrait que plus légitime le travail du législateur pour faire progresser l’égalité dans tout notre corpus juridique.
La délégation estime qu’il est temps d’affirmer l’égalité entre femmes et hommes dès l’article premier de notre loi fondamentale, dont le premier alinéa pourrait renvoyer explicitement à l’égalité devant la loi de tous les citoyens « sans distinction de sexe, d’origine, de race ou de religion ».
Cette modification ne remettrait pas en cause le second alinéa de l’article premier relatif à l’égal accès aux mandats et responsabilités. La délégation fera une proposition dans ce sens. |
b) L’égalité entre femmes et hommes, dimension essentielle de la laïcité
La loi de 1905 ne contient aucune référence à l’égalité, ce qui semble compréhensible compte tenu des circonstances de son élaboration, rappelées précédemment.
Il semblerait pourtant utile, dans le contexte actuel, que l’article premier de cette loi dispose que « [La République] garantit le libre exercice des cultes, dans le respect de l’égalité entre femmes et hommes et sous les seules restrictions édictées ci-après dans le respect de l’ordre public ».
Inscrire le principe de libre exercice des cultes sous les auspices de l’égalité entre femmes et hommes permettrait de souligner la dimension égalitaire de la laïcité, qui peut encourager l’égalité en favorisant l’émancipation des femmes par rapport au fait religieux. De même cette formulation vise-t-elle à renforcer la laïcité, à un moment où il est important de rappeler clairement les principes sur lesquels s’appuie notre République.
Il est toutefois peu probable qu’une proposition consistant à modifier cette loi puisse prospérer, car des raisons diverses s’opposent à ouvrir le débat sur ce texte de compromis.
Au cours de la réunion du 20 octobre 2016 se sont exprimées des positions divergentes, au sein de la délégation, sur cette question :
– d’une part, l’opinion selon laquelle il convient d’exclure toute remise en cause du compromis de 1905265(*) et l’idée qu’une telle modification de la loi de 1905 serait satisfaite par la proposition concernant l’inscription de l’égalité à l’article premier de la Constitution (ce qui suppose toutefois que cette proposition soit adoptée…) ; – d’autre part, la conviction que l’égalité entre femmes et hommes est une dimension essentielle de la laïcité, que la loi de 1905 n’est pas pleinement adaptée aux questionnements d’aujourd’hui et que le contexte actuel impose de ne pas esquiver ce débat malgré sa complexité. |
La délégation, convaincue que l’égalité est une dimension essentielle de la laïcité aujourd’hui en France, s’est interrogée sur l’inscription du principe d’égalité entre femmes et hommes dans la loi de 1905. |
c) Un impératif : continuer à promouvoir l’égalité professionnelle
La délégation est certaine que tout progrès dans le domaine de l’égalité professionnelle, de même qu’en matière d’égalité « tout court », contribue à faire reculer les menaces que dénonce ce rapport.
C’est dans cette logique que, le 17 décembre 2003, Jacques Chirac, Président de la République, s’était exprimé après avoir reçu le rapport de la Commission Stasi. Il avait alors estimé nécessaire, face aux dangers alors identifiés contre la laïcité, de « nous engager résolument en faveur des droits des femmes et de leur égalité véritable avec les hommes », ajoutant que « la nouvelle frontière » de ce combat devait être l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes.
De fait, ces inégalités perdurent malgré des progrès réels. Les lacunes les plus évidentes ont été rappelées par Brigitte Grésy, secrétaire générale du Conseil supérieur de l’égalité professionnelle lors de son audition par la délégation, le 2 juin 2016 :
– les salaires féminins restent inférieurs de 19 % à ceux des hommes après déduction des différences liées au temps partiel ; il existe une différence de salaire « inexpliquée » de 9 %, aux dépens des femmes, qui reflète probablement des phénomènes de discrimination contre les femmes, comme par exemple la « discrimination systémique […qui] fait qu’un diplôme de femme vaut moins qu’un diplôme d’homme sur le marché du travail », ainsi que l’a noté Brigitte Grésy le 2 juin 2016266(*) ;
– 30 %des femmes qui travaillent sont à temps partiel (7 % pour les hommes) ; les femmes représentent 82 % des salariés à temps partiel ; or le temps partiel, souvent subi, est à l’origine d’horaires atypiques posant des difficultés quotidiennes considérables aux femmes qui y sont astreintes. Il est de surcroît à l’origine d’inégalités importantes en matière de retraite ;
– les femmes représentent plus des deux tiers des travailleurs pauvres et sont deux fois plus souvent au SMIC que les hommes ;
– la ségrégation au travail perdure : 27 % des femmes occupent des emplois peu qualifiés, soit deux fois plus que les hommes ; 12 % seulement des emplois, qui représentent 17 % des salariés, sont mixtes (c’est-à-dire comprennent au moins 40 % d’un sexe donné), femmes et hommes occupent des emplois très différenciés (fonctions « support » pour les femmes, fonctions techniques, plus valorisées, pour les hommes) ;
– les grilles de classification des métiers se traduisent par le fait que, comme l’a rappelé Brigitte Grésy le 2 juin 2016, « les métiers majoritairement féminins sont moins valorisés que les métiers majoritairement occupés par des hommes », et que « les compétences portées majoritairement par les femmes valent moins que les compétences majoritairement exercées par des hommes » ; la part des femmes est de 90 % environ dans les huit métiers suivants : aides à domicile et aides ménagères, (plus de 97 % de femmes), assistantes maternelles, employés de maison, secrétaires, coiffeurs et esthéticiennes, infirmiers, aides-soignants267(*) ;
– une autre conséquence de cette classification est une moindre reconnaissance de la pénibilité des tâches dites féminines : la secrétaire générale du Conseil supérieur de l’égalité professionnelle a souligné lors de son audition que « porter une personne âgée dépendante n’est pas aussi valorisé que porter un sac de ciment » ; « Cela n’est pas considéré comme un signe de pénibilité […]. Pourtant, […], nous en connaissons l’impact sur la santé physique des travailleurs du secteur des services à la personne, qui sont à 90 % des femmes » ;
– de surcroît, le fait que le partage des tâches au sein des couples reste inégalitaire constitue une inégalité importante entre femmes et hommes et fait partie de la problématique des inégalités professionnelles. Les femmes assument encore aujourd’hui 71 % des tâches ménagères et 65 % des tâches parentales268(*) ; si l’écart entre femmes et hommes tend à se réduire au fil du temps, ce n’est pas parce que les hommes y prennent une part croissante, mais du fait de mutations telles que le recours aux services à la personne, l’allègement des tâches liées à l’entretien des vêtements ou à l’externalisation de la préparation des repas. Le « temps domestique » était évalué en 2015 par l’Institut national d’études démographiques à 20 heures 32 par semaine, en France, pour les femmes et à 8 heures 38 pour les hommes soit une différence de 12 heures par semaine269(*).
Qu’il puisse encore exister dans notre pays des structures professionnelles qui excluent ouvertement les femmes, comme par exemple l’association des Compagnons du devoir, ainsi que la délégation l’a appris à l’occasion du 8 mars 2016 au cours d’une rencontre avec des femmes « Meilleures ouvrières de France », est significatif des progrès à accomplir pour parvenir à l’égalité réelle dans le domaine du travail.
d) Un objectif décisif à la veille des élections de 2017 : la parité de nos assemblées parlementaires
Il serait dommage que la défense de l’égalité s’arrête au seuil des lieux de pouvoir, et plus particulièrement à la porte des assemblées parlementaires. En juin 2016, la proportion de sénatrices et de députées dans leurs assemblées respectives est en effet sensiblement la même et représente seulement 26 % des élus.
Cette proportion, selon les statistiques publiées par l’Union interparlementaire le 1er août 2016, situe désormais la France au 63ème rang mondial pour la féminisation de son Parlement (après l’Iraq et le Soudan du Sud et avant le Canada, le Honduras et le Turkménistan).
La délégation s’alarme de ce rang, qu’elle estime indigne de notre République.
Bien des pays du continent européen occupent dans ce classement mondial des places nettement plus enviables :
– la Suède : 5ème rang mondial (43,6 % d’élues) ;
– la Finlande: 10ème rang (41,5 %) ;
– l’Islande : 11eme rang (41,3 %) ;
– la Norvège : 14ème rang (39,6 %) ;
– la Belgique : 16ème rang (39,3 %) ;
– l’Espagne : 18ème rang (39,1 %) ;
– le Danemark : 21ème rang (37,4 %) ;
– les Pays-Bas : 22ème rang (37,3 %) ;
– l’Allemagne : 26ème rang (36,5 %) ;
– le Portugal : 29ème rang (34,8 %) ;
– la Suisse : 36ème rang (32 %) ;
– l’Italie : 42ème rang (31 %) ;
– l’Autriche : 44ème rang (30,6 %) ;
– le Royaume-Uni : 48ème rang (29,6 %).
Dans le même esprit, il est significatif que, dans notre assemblée, les fonctions impliquant des responsabilités importantes aient été réparties entre sénateurs et sénatrices au lendemain du renouvellement de 2014 selon une logique proportionnelle, les sénatrices représentant alors 25 % des sénateurs (la proportion s’est élevée depuis à 26 % au gré des remplacements successifs).
Ainsi les sénatrices représentent-elles, en juin 2016, 31 % des membres du Bureau (soit 8 sénatrices sur 26 membres). Quant à la Conférence des présidents, déterminante pour l’organisation des travaux d’une assemblée, elle est féminisée au Sénat à raison de 23 % (6 sénatrices sur 26).
La délégation considèrerait comme un signal très positif, dans le contexte actuel, que le Parlement élu en 2017 compte davantage d’élues. C’est d’ailleurs le voeu que formulait Gérard Larcher pour le Sénat lors de la journée du 8 mars 2016270(*).
Elle estime souhaitable que, dans la perspective des élections de 2017, tant législatives que sénatoriales, la campagne électorale mette en valeur des candidates et que les partis politiques, lors des investitures, fassent une large place aux femmes, évitent d’attribuer aux femmes de manière systématique les circonscriptions les plus difficiles à gagner et veillent à placer des femmes en tête de liste.
La délégation appelle donc l’ensemble des partis politiques à élaborer leurs listes de candidat-e-s de manière à permettre que la parité soit atteinte dans les deux assemblées parlementaires issues des élections de 2017. |
* 246 Jean Baubérot, La laïcité falsifiée, La Découverte, 2015, p. 8.
* 247 Revue des deux mondes, juin 2016, p. 11.
* 248 Jean Baubérot, La laïcité falsifiée, La Découverte, 2015, p. 9.
* 249 (Dont d’ailleurs, il faut le remarquer, aucune disposition ne se réfère à la notion de laïcité).
* 250 Cité par Jean Baubérot, La laïcité falsifiée, La Découverte, 2015, p. 50.
* 251 Bernard Stirn, Les libertés en questions, tome II : débats de société, LGDJ – Lextenso, coll. Clefs, 9è édition, 2015, p. 69.
* 252 Décision du 19 décembre 2004.
* 253 Jean Baubérot, La laïcité falsifiée, La Découverte, 2015, p. 48.
* 254 Jean Baubérot, op. cit., p. 122.
* 255 p. 29.
* 256 André Comte-Sponville, « Au-delà des mots – le critère exclusif », Le Monde des religions, mai-juin 2016, n°77, p. 55.
* 257 « La laïcité n’est pas contraire aux religions ni aux formations communautaires : elle s’oppose seulement aux religions et aux communautés lorsque celles-ci veulent faire la loi, lorsqu’elles ont des visées politiques » (compte rendu du 19 mars 2015).
* 258 Citée dans Adonis, Violences et islam, op. cit., p. 119.
* 259 Élisabeth Badinter, « La laïcité, un enjeu pour les femmes », Matériaux pour l’histoire de notre temps, n° 78, 2005, pp. 50-53.
* 260 Essais, Points, 2012.
* 261 Olivier Roy, op. cit., pp 200-201.
* 262 Olivier Roy, op. cit., p 225.
* 263 Cité par Jean Baubérot, La laïcité falsifiée, La Découverte, 2015, p. 92.
* 264 Jean Baubérot, op. cit., p. 92.
* 265 Tel était le prérequis de la mission d’information sur l’islam en France, que Corinne Féret, son ancienne présidente, a rappelé au cours des réunions du 6 octobre 2016 et du 20 octobre 2016.
* 266 Comme le souligne un rapport de France Stratégie sur Le coût économique des discriminations de septembre 2016, les discriminations au travail (le rapport envisage toutes les discriminations sans limiter son approche aux discriminations à raison du sexe) sont aussi la cause d’un manque à gagner considérable pour la collectivité. Leur suppression permettrait ainsi une augmentation du PIB comprise, selon les scénarios, entre +3,6% et +14,1%, soit une hausse des recettes publiques comprise entre +1% et +4,1%, parallèlement à une baisse des dépenses comprise entre – 1,3 % et – 5,1 %.
* 267 DARES, « La répartition des femmes et des hommes par métiers », décembre 2013.
* 268 Économie et statistiques, n° s 478-479-480, octobre 2015 ; Clara Champagne, Ariane Pailhé et Anne Solaz, « Le temps domestique et parental des hommes et des femmes : quels facteurs d’évolutions en 25 ans? »; http://www.insee.fr/fr/ffc/docs_ffc/ES478H.pdf.
* 269 http://www.lemonde.fr/demographie/article/2015/01/12/une-marche-paradoxale-vers-l-emancipation-des-femmes_4554683_1652705.html
* 270 Le 8 mars 2016 au Sénat, Journée internationale des droits des femmes, rapport de la délégation aux droits des femmes, n° 754, 2015-2016.
B. MIEUX PROTÉGER L’ÉGALITÉ ENTRE FEMMES ET HOMMES, UNE EXIGENCE DÉMOCRATIQUE
Il semble indispensable, pour lutter contre des attitudes qui affectent notre « vivre ensemble », de mieux défendre l’égalité entre femmes et hommes :
– en appliquant de manière rigoureuse la règle de droit existante ;
– en adaptant notre législation, quand la règle de droit existante ne permet pas de garantir le respect de l’égalité et la mixité.
Dans cet esprit, la délégation formulera un certain nombre de propositions et de recommandations.
1. Mieux appliquer la règle de droit quand elle existe
La législation permet d’ores et déjà, dans une certaine mesure, de répondre aux problèmes soulevés par des comportements mettant à mal les droits et libertés des femmes et le principe d’égalité : ces dispositions pourraient être mieux connues et plus systématiquement appliquées.
a) Difficultés concernant les manifestations organisées par certaines associations
Certaines manifestations, souvent organisées par des associations, contribuent à véhiculer des messages mettant en cause les droits des femmes.
Le salon de la femme musulmane de Pontoise a, les 12 et 13 septembre 2015, suscité un large écho médiatique, dès avant la tenue de l’événement. Céline Pina, alors conseillère régionale, avait publié le 12 septembre un communiqué de presse contestant la « visibilité » accordée aux extrémistes par de telles manifestations, « festival d’imams choisis parmi les plus intégristes et les plus obscurantistes, dont la violence des prêches à l’égard des juifs, des apostats, des mécréants et surtout des femmes est notoire ». Elle attirait l’attention sur des propos inadmissibles tenus en ligne par certains intervenants, d’ailleurs précédemment cités par le présent rapport, dont les prêches encouragent à interdire aux femmes de sortir de chez elles sans la permission de leur mari ou qui maudissent celles qui se refuseraient « sans raison valable » au devoir conjugal.
Céline Pina aspirait à une réaction des pouvoirs publics pour que de semblables manifestations ne puissent plus être organisées et que cette propagande, qui « réduit une religion à l’expression d’une théorie politique totalitaire », puisse être enrayée.
On peut en effet s’interroger sur la portée de la liberté de réunion et de la liberté d’association quand sont en jeu des comportements et attitudes inadmissibles incitant à la violence et à la haine contre les femmes et contraires à l’égalité entre femmes et hommes.
Le salon de Pontoise n’est pas un cas isolé et d’autres manifestations illustrent les difficultés auxquelles se heurtent certaines municipalités, sollicitées par exemple pour prêter des salles communales271(*).
Le guide de la laïcité272(*) édité en novembre 2015 par l’Association des maires de France a apporté d’utiles précisions à cet égard :
– la mise à disposition gratuite de locaux communaux au profit d’associations, prévue par l’article L. 2144-3 du code général des collectivités territoriales273(*), constitue une subvention en nature274(*) ;
– comme les autres subventions, elles doivent être « justifiées par un intérêt général »275(*) ;
– l’association bénéficiaire de subventions doit avoir été régulièrement déclarée et détenir la personnalité juridique ; il importe donc, à tout le moins, qu’il soit procédé à ces vérifications avant de prêter une salle communale ;
– selon l’article L. 2144-3 du code général des collectivités territoriales, le maire autorise des associations à utiliser des locaux communaux « compte tenu des nécessité du maintien de l’ordre public » ;
– le versement de subventions ne constitue pas un droit acquis ; les demandes doivent être instruites de manière à ne pas porter atteinte au principe d’égalité de traitement entre les associations.
L’Association des maires de France invite les communes à élaborer des chartes locales intégrant le principe de laïcité et exigeant des associations qu’elles garantissent que les subventions qui leur seront attribuées seront affectées à des fins d’intérêt général.
La délégation estime que ces chartes locales devraient contenir des exigences explicites à l’égard des acteurs associatifs et des engagements stricts, de la part des associations, en matière de mixité et d’égalité entre femmes et hommes.
La délégation suggère aussi l’élaboration d’un guide de la laïcité récapitulant les exigences d’égalité entre femmes et hommes, afin que tous les acteurs concernés disposent de repères clairs sur l’articulation du principe de laïcité avec l’égalité entre femmes et hommes et les droits des femmes. |
b) Mieux mobiliser les dispositions réprimant les discriminations, les agissements sexistes et l’incitation à la haine et à la violence à raison du sexe
(1) La protection offerte par la législation contre les discriminations et les agissements sexistes au travail
Parmi les causes de discrimination contre lesquelles l’article L. 1132-1 du code du travail protège les salariés, mentionnons celles qui peuvent êtres subies en raison du sexe, des « convictions religieuses », de l’appartenance ou la non-appartenance, « vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une race ».
Les comportements tels que le refus de l’autorité d’une collègue femme peuvent donc être sanctionnés car ils sont constitutifs d’une discrimination fondée sur le sexe.
Ils peuvent également constituer des agissements sexistes proscrits par l’article L. 1142-2-1 du code du travail et par l’article 6 bis de la loi de 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires.
L’interdiction des agissements sexistes a été introduite dans le code du travail par la loi du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l’emploi et dans la loi du 13 juillet 1983 par l’article 7 de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels. La délégation se félicite d’ailleurs que cette modification du statut des fonctionnaires ait été adoptée lors de la première lecture, au Sénat, du projet de loi de modernisation du droit du travail et à l’initiative de membres de la délégation.
Le code du travail276(*) et la loi de 1983 définissent les agissements sexistes comme liés « au sexe d’une personne, ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité ou de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant. »
Cette définition permet d’aller au-delà de manifestations parfois jugées excusables d’une grivoiserie que l’on considère, à tort, sans véritable conséquence pour celles qui en font les frais. Sur la base de l’agissement sexiste peuvent en effet être sanctionnés, sur le lieu de travail, les comportements tels que le refus de serrer la main d’une collègue ou la récusation de son autorité, pour le seul motif qu’elle est une femme.
Il appartient donc à chacun-e d’être vigilant sur le lieu de travail : aux collègues, témoins de ces comportements, de relayer l’information vers la hiérarchie, et à cette dernière, de prendre s’il y a lieu les sanctions adaptées.
Ces dispositions protectrices sont toutefois encore insuffisamment connues et il y a là, incontestablement, un progrès à favoriser par une meilleure diffusion de cette législation et par l’information de tous les personnels sur ses implications.
La délégation appelle donc :
– à une large diffusion des dispositions concernant les agissements sexistes auprès des professionnels du droit et des employeurs, – et à l’information des personnels sur les facultés de recours qu’elles leur offrent. |
(2) L’article 225-1 du code pénal contre les discriminations
L’article 225-1 du code pénal prévoit une large définition des discriminations qui intègre non seulement le sexe, mais aussi l’appartenance ou la non-appartenance, « vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée ».
On notera que c’est sur la base de la discrimination qu’a été condamné, en avril 2016, le commerçant ayant prévu des horaires d’ouverture séparés pour les femmes et les hommes : l’article 225-2 du code pénal proscrit en effet la discrimination consistant à refuser « la fourniture d’un bien ou d’un service » et « l’exercice normal d’une activité économique quelconque ».
Cette disposition légale permet donc de sanctionner des agissements relevant de la mise en cause de la mixité277(*).
La délégation souhaite qu’elle soit appliquée pour tous les comportements de ce type et qu’une circulaire de politique pénale rappelle son adaptation à ces situations.
(3) L’interdiction de l’incitation à la haine ou à la violence à raison du sexe
L’article 24 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse réprime les provocations :
– « à la discrimination, à la haine ou à la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée » ;
– « à la haine ou à la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes à raison de leur sexe […] »278(*).
Les supports qui peuvent être utilisés à des fins de provocation à la haine sexiste ou religieuse sont définis par l’article 23 de cette même loi de manière très large : « des discours, cris ou menaces proférés dans des lieux ou réunions publics, soit par des écrits, imprimés, dessins, gravures, peintures, emblèmes, images ou tout autre support de l’écrit, de la parole ou de l’image vendus ou distribués, mis en vente ou exposés dans des lieux ou réunions publics, soit par des placards ou des affiches exposés au regard du public, soit par tout moyen de communication au public par voie électronique ».
Cette définition vise, il faut le noter, la communication électronique. Les vidéos outrancières sur les femmes citées à plusieurs reprises par le présent rapport, que l’on trouve trop facilement sur Internet, semblent ainsi relever de ces dispositions législatives, même si l’on est conscient des obstacles pratiques auxquels se heurte la poursuite des délits commis en ligne.
La délégation appelle les pouvoirs publics à faire acte d’autorité pour assurer le respect de l’égalité entre femmes et hommes et pour sanctionner les dérives incompatibles avec le statut des femmes dans une société démocratique.
Elle souhaite l’élaboration d’une circulaire de politique pénale pour inviter le Parquet à mobiliser toutes les dispositions législatives existantes, plus particulièrement les dispositions du code pénal contre les discriminations et celles de la loi du 29 juillet 1881, pour sanctionner avec fermeté et vigilance les comportements qui mettent en cause les droits et libertés des femmes, voire qui, notamment en ligne, appellent à la discrimination, à la haine ou à la violence contre les femmes. Elle fera une recommandation dans ce sens. |
2. Adapter notre législation pour renforcer l’égalité entre femmes et hommes
Si la loi permet déjà de réprimer certains des actes contre lesquels s’est élevé le présent rapport, il importe de compléter les dispositions existantes :
– pour sanctionner les associations qui provoqueraient à la discrimination, à la haine ou à la violence à l’encontre des femmes ;
– pour aller plus loin en matière de lutte contre les discriminations et les agissements sexistes ;
– pour protéger les personnes qui seraient victimes de pressions destinées à les inciter à se conformer à des rites ou à des pratiques au nom d’allégations religieuses, contre leur gré.
a) Sanctionner les associations provoquant à la discrimination, à la haine ou à la violence envers les femmes
L’article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure prévoit la dissolution des associations « qui, soit provoquent à la discrimination, à la haine ou à la violence envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, soit propagent des idées ou théories tendant à justifier ou encourager cette discrimination, cette haine ou cette violence ».
La délégation s’étonne que ne figure pas parmi les motifs de dissolution l’incitation à la discrimination, à la haine ou à la violence à raison du sexe d’une personne ou d’un groupe de personnes.
Elle propose donc une extension du champ de l’article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure, de manière à permettre la dissolution d’associations dont le message sexiste appelle à discriminer les femmes et à exercer des violences contre elles. |
b) Compléter la définition des discriminations dans le code du travail
La définition des motifs de discriminations telle qu’elle résulte de l’article L. 1132-1 du code du travail prévoit déjà, outre le sexe, les moeurs, l’orientation sexuelle, l’âge, la situation de famille ou de grossesse, les caractéristiques génétiques, les opinions politiques, les activités syndicales, l’apparence physique, le nom de famille, le lieu de résidence et l’état de santé ou de handicap :
– les convictions religieuses ;
– « l’appartenance vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une race ».
Cette définition présente des nuances par rapport à l’article 225-1 du code pénal qui prévoit en outre que « Constitue une discrimination toute distinction opérée […] à raison […] de l’appartenance ou de la non-appartenance, vraie ou supposée, à une […] religion déterminée ».
La définition de la discrimination qui résulte du code du travail ne permet pas de prendre en compte la situation de celles et ceux qui font l’objet de pressions pour des raisons liées à leur appartenance supposée à une religion, au motif qu’ils ou elles ne se conformeraient pas, par exemple, à des usages alimentaires ou vestimentaires auxquels pourrait les assigner, dans l’esprit de certains, leurs origines.
Afin de couvrir les situations où des personnes subiraient des comportements discriminatoires du fait de la religion à laquelle certains les associeraient en raison de leurs origines supposées, il semble important de compléter la définition de la discrimination faite par le code du travail pour y insérer « l’appartenance ou la non appartenance, vraie ou supposée, à une religion déterminée », comme le prévoit déjà le code pénal.
c) Créer un délit autonome d’agissement sexiste dans le code pénal
Les agissements sexistes ne figurent pas actuellement en tant que tels dans le code pénal.
La délégation souhaite cependant que la sanction des comportements sexiste ne s’arrête pas au lieu de travail, mais que ceux-ci constituent un délit autonome.
Lors de notre réunion du 2 juin 2016, notre collègue Corinne Bouchoux a évoqué le cas d’hommes qui « prennent leur certificat de nationalité mais qui refusent, au cours de cette cérémonie, de serrer la main d’une parlementaire, parce que c’est une femme ! ». Un tel comportement de la part d’une personne venant de recevoir la nationalité française pose problème.
La délégation estime nécessaire de montrer la détermination des pouvoirs publics français face à ce type de provocation, car de tels comportements ne sauraient être considérés comme anecdotiques dès lors qu’en s’adressant à une élue, lors d’une manifestation officielle, ils visent non seulement la dignité d’une personne, mais aussi
l’autorité de l’État.
La délégation propose donc de créer un délit autonome d’agissement sexiste en insérant dans le code pénal un nouvel article y transposant la définition des agissements sexistes qui figure dans le code du travail : « Nul ne doit subir d’agissement sexiste, défini comme tout agissement à raison du sexe d’une personne, ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité ou de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant. »
Cet article se situerait après l’article 225-1 relatif aux discriminations, dans la partie du code pénal traitant des atteintes à la dignité de la personne – car c’est de cela qu’il s’agit279(*). Il serait indépendant de la mise en place d’une circonstance aggravante de tous les crimes et délits, à raison du sexe de la personne (ou de son orientation sexuelle), dans le texte du projet de loi Égalité et citoyenneté adopté par l’Assemblée nationale et complété dans le même esprit par la commission spéciale du Sénat280(*). Il semble par ailleurs important, pour éviter que l’autorité de l’État puisse être bafouée par ces attitudes inadmissibles, de prévoir des circonstances aggravantes quand la victime est « une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public ». |
* 271 Les développements ci-après concernent les associations autres que cultuelles. Comme le rappelle le guide Laïcité et collectivités territoriales publié par l’Observatoire de la laïcité en juillet 2015, « Si la salle ou l’équipement est fourni gracieusement pour une activité devenue cultuelle, il s’agit d’une subvention à un culte, ce qui est illégal » (p. 11).
* 272 Laïcité – Le vade-mecum de l’AMF, p. 8.
* 273 « Des locaux communaux peuvent être utilisés par les associations, syndicats ou partis politiques qui en font la demande.
« Le maire détermine les conditions dans lesquelles ces locaux peuvent être utilisés, compte tenu des nécessités de l’administration des propriétés communales, du fonctionnement des services et du maintien de l’ordre public.
« Le conseil municipal fixe, en tant que de besoin, la contribution due à raison de cette utilisation. »
* 274 Laïcité – Le vade-mecum de l’AMF, novembre 2015, p. 7.
* 275 Art. 9-1 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations : « Constituent des subventions, au sens de la présente loi, les contributions facultatives de toute nature, valorisées dans l’acte d’attribution, décidées par les autorités administratives et les organismes chargés de la gestion d’un service public industriel et commercial, justifiées par un intérêt général et destinées à la réalisation d’une action ou d’un projet d’investissement, à la contribution au développement d’activités ou au financement global de l’activité de l’organisme de droit privé bénéficiaire. Ces actions, projets ou activités sont initiés, définis et mis en oeuvre par les organismes de droit privé bénéficiaires. Ces contributions ne peuvent constituer la rémunération de prestations individualisées répondant aux besoins des autorités ou organismes qui les accordent. »
* 276 Des avancées ont été atteintes, et il faut s’en féliciter, en matière de prévention du sexisme au travail dans le cadre de la discussion de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels : l’article 4 étend aux agissements sexistes l’article L. 1321-2 du code du travail relatif au règlement intérieur des entreprises, qui doit déjà rappeler les dispositions concernant l’interdiction du harcèlement moral et sexuel ; l’article 5 introduit les agissements sexistes dans la quatrième partie du code du travail relative à la santé et à la sécurité au travail et vise à prendre en compte les agissements sexistes dans le cadre des actions de prévention de l’employeur en matière de santé et de sécurité (article L. 4121-2 du code du travail) ; l’article 6 permet au comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail de proposer des actions de prévention en matière d’agissement sexiste, comme c’est déjà le cas pour le harcèlement moral et le harcèlement sexuel (article L. 4612-3 du code du travail). Dans le cadre de la discussion du projet de loi relatif à l’égalité et à la citoyenneté, la délégation aux droits des femmes a défendu un amendement tendant à modifier l’article L. 1144-1 du code du travail, par cohérence avec la loi n° 2008-496 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, pour aligner le régime de l’aménagement de la charge de la preuve en matière d’agissement sexiste sur celui qui s’applique aux discriminations à raison du sexe dans l’emploi. Cet amendement est devenu l’article 56 quater du projet de loi (numérotation provisoire).
* 277 Les peines prévues par l’article 225-2 du code pénal (trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende) sont portées à cinq ans d’emprisonnement et à 75 000 euros d’amende lorsque le refus discriminatoire consistant à refuser la fourniture d’un bien ou d’un service « est commis dans un lieu accueillant du public ou aux fins d’en interdire l’accès ».
* 278 La peine prévue est d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende (ou l’une de ces deux peines seulement). Elle est portée à cinq ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende quand la provocation vise à commettre des « atteintes volontaires à l’intégrité de la personne et les agressions sexuelles définies par le livre II du code pénal ».
* 279 Par cohérence, la disposition du code pénal relative aux agissements sexistes comporterait les mêmes sanctions que celles qui sont proposées par ce rapport pour le code du travail : un an d’emprisonnement et 3 750 euros d’amende.
* 280 Cette modification figure à l’article 38 du projet de loi.
30 novembre 2018