Spécificité française
Spécificité française
La revendication laïque s’est essentiellement développée là où une église, en l’occurrence ici l’Eglise catholique romaine, a voulu imposer un pouvoir totalitaire au sens strict, c’est-à-dire englobant tous les aspects de la société civile, politique, économique, en fait là où la religion est devenue pouvoir.
Face à ce pouvoir se sont manifestées des velléités successives de libération tantôt politique, tantôt spirituelle ou les deux à la fois. Au Moyen Age, c’est à l’intérieur de l’Eglise catholique que naissaient ces mouvements vite qualifiés d’hérétiques et rapidement étouffés. Des premiers réformateurs aux philosophes du XVIlle siècle, l’idée a évolué, restant cependant associée à un double mouvement émancipateur :
– celui de la pensée libre s’affranchissant peu à peu des croyances obligatoires;
– celui d’une société revendiquant des libertés politiques.
Face à cela, l’Eglise catholique, dirigée par une papauté accrochée à un pouvoir temporel que ne lui reconnaissent même pas ses textes fondateurs, s’est au contraire enfermée de plus en plus dans un refus total, une négation définitive de tout mouvement émancipateur. En France, l’alliance plus que millénaire entre « le Trône et l‘Autel » a rendu inévitable la contestation religieuse à partir du moment où se développait la contestation politique.
Dans cet état d’esprit, les philosophes du XVIlle siècle, animés par l’esprit des Lumières, mènent un double assaut idéologique contre les deux formes de l’absolutisme, royal et religieux. La revendication de la liberté de penser et la référence à la Raison radicalisent ce mouvement parfaitement illustré par Condorcet.
Au XIXe siècle, la formation progressive de l’idée républicaine, son ancrage sur la plate-forme des libertés révolutionnaires, du progrès social, de la libération des esprits de toutes les formes d’obscurantisme, a apporté la dernière touche à cette évolution.
La séparation des Eglises et de l’Etat aurait pu être le symbole de l’achèvement d’une étape essentielle si elle n’avait été, depuis, constamment remise en question, de façon directe ou non, par les attaques de tous ceux qui restent persuadés que l’homme est incapable d’assumer pleinement les effets de sa liberté absolue de conscience.
Si, dans l’histoire de notre pays, tous les grands combats pour la liberté et la justice furent porteurs de l’exigence de laïcité, toutes les périodes de réaction virent par opposition le retour de la domination religieuse. La dictature vichyste – dont certaines conséquences, 50 ans après, n’ont toujours pas été liquidées – en a été le dernier exemple.
Renaissance, Réforme, Révolution, République : ces différentes étapes de la formation de l’idée laïque ont donné au citoyen français du XXe siècle une place particulière dans l’Europe en construction. Le problème qui se pose à lui à l’heure actuelle est clair :
– ou il renonce à cette spécificité et il abandonne à terme l’énorme progrès qu’il a accompli, peut être plus vite que d’autres, au cours des siècles passés ;
– ou il est persuadé que l’idée laïque, loin d’être un frein à l’intégration européenne peut être au contraire un énorme levier d’accélération de la marche à l’unité.
LIVRE BLANC DE LA LAICITE (GODF-Juin 2000)